
Attention : dans l'exposition, des œuvres sont placées sur le sol. Veuillez respecter les lignes de sécurité.
Introduction
Le Kunstmuseum Bern consacre à l'artiste italienne Marisa Merz (1926−2019) sa plus grande rétrospective en Suisse depuis plus de trente ans. Célébrée en 2013 à l'occasion de la 55e biennale de Venise, elle reçoit un Lion d'or pour l'ensemble de son œuvre. Elle est la seule femme à être considérée aujourd'hui comme une figure majeure de l'Arte Povera. Elle aura évolué à la fois au centre et en marge de ce mouvement artistique radical qui s'est développé dans l'effervescence de l'Italie postindustrielle à la fin des années 1960. Marisa Merz acquiert ainsi une position artistique unique.
La force subtile de l'œuvre de Marisa Merz se révèle à travers une vision nourrie de l'intérieur. L’artiste était convaincue que « l'œil conduit la main ». Car même « quand les yeux sont fermés, ils sont extraordinairement ouverts ». Ses créations sont marquées par le silence, la poésie et la recherche de la fragilité de l'art qui, selon elle, correspond à celle de la vie. Marisa Merz refuse de donner un titre à ses œuvres et de les dater, car elles sont en constante évolution. Elle revient toujours aux mêmes motifs, matériaux et techniques afin de s'approcher véritablement de leur essence. Elle explore ses sujets en jouant constamment sur des variations subtiles qui la conduisent d'une œuvre à l'autre. Marisa Merz considère la peinture comme un langage doté d'une mémoire. Elle s'inspire de l'histoire de la peinture européenne, créant ainsi une histoire de l'art qui n'appartient qu'à elle.
Dans son atelier, elle transforme l'espace et le temps en un grand collage composé de dessins, de peintures, de sculptures et d'objet trouvées. L’artiste se déplace avec virtuosité entre l'histoire de l'art et le quotidien. Pour ce faire elle a recours à des objets et des matériaux du quotidien comme l'aluminium, l'argile, le cuivre, le nylon, la cire et le tissu. Sa façon d'utiliser ces matériaux divers est à la fois nuancée et personnelle. Ainsi elle fait indissociablement le lien entre la haute culture et la culture populaire.
L’exposition est une coopération avec le LaM – Lille Métropole, musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, le Fridericianum et la Fondazione Merz.
Silence et mouvement
È Tutto così fermo
e in quel momento si muove
la foglia
Tout est si calme
et à cet instant elle bouge
la feuille
(Marisa Merz)
Dès la fin de son adolescence, Marisa Merz a fréquenté les milieux culturels turinois, du théâtre à la danse en passant par la peinture. Un monde d’une grande richesse historique et artistique dont on retrouve toute l’inventivité dans l’œuvre de l’artiste. Cela se voit notamment dans les nombreux visages qu'elle a modelés ou dessinés depuis les années 1970. En modelant sans cesse ses têtes, avec « autant – ou aussi peu – de matière que ses mains pouvaient en contenir », Merz cherche à saisir l’essence du portrait, à dépasser le seuil de la vraisemblance pour tenter d’approcher la vérité du sujet. Avec ses têtes, elle se confronte à la difficulté de rendre compte du réel tel qu’il est : insaisissable, en constante transformation.
Merz a pris l'habitude de transformer ses œuvres au fil du temps et des expositions, en fonction de l'espace qu'elle occupait, et de faire de ses installations des environnements in situ. Il en va de même pour ses œuvres différenciées réalisées en fil de cuivre. L'artiste a adapté les triangles tissés à l'espace disponible et crée ses propres rythmes et pauses sur le mur.
Espaces profanes
non corrisponde eppur fiorisce
ne correspond pas et pourtant fleurit
(Marisa Merz)
En tant qu'artiste, Marisa Merz savait que l'art et la vie étaient indissociables. « Il n'y a jamais eu de séparation entre mon travail et ma vie » − c'est l'une des citations les plus connues, extraite d'une de ses rares interviews, donnée en 1975. Cette déclaration se rapporte à la fois à sa biographie et à sa vie de femme dans l'Italie de l'après-guerre. En effet, les stéréotypes de genres et la conviction de la supériorité masculine persistent malgré les progrès politiques et sociaux. L'exploration permanente de son quotidien révèle aussi une dimension politique - conformément au principe féministe de l'époque selon lequel le privé est politique.
Dans les années 1960, Merz travaille en retrait, dans la sphère privée. Elle fabrique des œuvres d'art en prenant ses propres mensurations et crée des jeux pour sa fille Beatrice, née en Suisse en 1960. Merz élève au rang d'art des matériaux profanes et modestes comme le papier d'aluminium et le fil de nylon, ainsi que des techniques comme la couture et le tricot. En intégrant des matériaux quotidiens et ses propres expériences corporelles dans son travail artistique, Merz formule une critique subtile de la société.
Avec des œuvres comme Scarpetta (« Petite chaussure »), Coperta (Couverture) ou Bea, Merz construit une référence spatiale, tout en intervenant dans l'espace. Dans l'interview mentionnée, elle explique : « Je n'ai jamais vraiment fait d'exposition avec mon corps. Mais j'ai remarqué que lorsque je me rendais à une exposition où je n'étais pas invitée en tant qu'artiste, je n'avais pas l'impression de ne pas en faire partie, j'y allais et je disais : c'est moi. »
Au royaume de l'entre-deux
La stanza del mare
La stanza del vuoto
La stanza della fame
La stanza dell’arcobaleno
La chambre de la mer
La chambre du vide
La chambre de la faim
La chambre de l'arc-en-ciel
(Marisa Merz)
Marisa Merz pense son œuvre en étroite relation avec l'espace. L'artiste à l'« œil absolu » est connue pour remodeler ses objets à chaque exposition. Elle restructure alors ses œuvres, fait croître les dessins dans l'espace ou y positionne ses sculptures qui deviennent ainsi des installations occupant tout l'espace. Elle combine des objets ou des matériaux dits « pauvres » et simples et célèbre le moment où une « chose » apparaît. Merz se laisse guider par « l'intelligence de la matière » et s'en remet entièrement à la présence autonome de l'argile, du graphite, de la cire, de la feuille d'or, du fil de cuivre, du bois ou du papier. Cette conception de la sculpture comme processus et générateur d'énergie entre en résonance avec les approches radicales de Robert Morris ou Eva Hesse.
Le type de transformation qu'elle conçoit sur des objets et des matériaux en les combinant et en les travaillant crée une atmosphère qui rappelle les pratiques religieuses ou spirituelles. De ses Living Sculptures (Sculptures vivantes) aux installations en fil de cuivre, Merz ne se contente pas d'explorer les formes et techniques traditionnelles de la sculpture : ses œuvres confèrent aux espaces qu'elle crée une dimension rituelle. Les œuvres sont alors à la fois une protection et une extension de son univers personnel. Les êtres que Merz fait apparaître dans ses dessins et ses peintures oscillent eux aussi entre l'humain et le non-humain, entre la présence et l'absence. Ils appartiennent aussi bien au monde visible qu'au monde spirituel.
Espaces sacrés
l’occhio guida la mano
(l’occhio è l’angelo ?)
l'œil guide la main
(l'œil est-il l'ange ?)
(Marisa Merz)
Les motifs, les couleurs et les compositions des œuvres de Marisa Merz font souvent écho à des œuvres d'art du passé : aux icônes byzantines, aux peintures religieuses de Fra Angelico et Antonello de Messine ou à la peinture flamande de la Première Renaissance. Outre les citations évidentes, on découvre chez Merz des références plus subtiles mais non moins importantes à des thèmes religieux et spirituels. Cela passe en partie par la représentation de symboles ou de récits religieux, mais surtout par la façon qu'a l'artiste d'aborder le corps, l'espace et la relation entre l'humain et le surhumain.
On dit de Merz qu'elle créait des expositions qui constituaient autant d’œuvres. Elle était capable de transcender le visible, de transformer des espaces physiques en espaces spirituels − des lieux de retraite, d'introspection et de rencontre avec soi-même ou avec l'invisible.
Le ciel est un espace immense
Parlami di Antonello da Messina
Parlami di Gentile da Fabriano
Parlami dell’agnello mistico
Parlami che il cielo è grande spazio
Parle-moi d'Antonello de Messine,
Parle-moi de Gentile da Fabriano,
Parle-moi de l'Agneau mystique,
Dis-moi que le ciel est un espace immense
(Marisa Merz)
A partir des années 2000, Marisa Merz passe de plus en plus de temps dans son atelier et approfondi son dialogue avec les grands maîtres de la Renaissance. Elle crée davantage de dessins et de peintures de personnages dotés d'ailes qui rappellent les représentations de l'art sacré : madones, anges et autres figures célestes.
Marisa Merz explore également de nouvelles possibilités dans le domaine du dessin. En combinant de grandes feuilles de papier, elle dépasse leurs limites matérielles et crée des pièces peintes qui s'inscrivent dans la tradition de la fresque italienne. Ces dessins de grand format ne tardent pas à remplir les murs de son atelier. Parfois, ils contiennent également des éléments provenant d'autres travaux - de petites têtes modelées ou des fils de cuivre, par exemple. Merz se règle inlassablement sur les propriétés du matériau et de l'espace. Elle fait sans cesse émerger de nouvelles formes dans de nouveaux contextes. La nature et le temps contribuent à façonner ses œuvres. A partir de techniques et de matériaux « pauvres » − simples et quotidiens − elle crée des œuvres poétiques qui impliquent les spectateur·rice·s. Même dans sa phase tardive, son œuvre est complexe et d'une grande ouverture, ce qui permet une multitude d'approches et d'interprétations.
Biographie
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Marisa Merz naît à Turin le 23 mai 1926. Dès son adolescence, elle se familiarise avec la riche culture de sa ville natale. Elle commence sa carrière dans les années 1960 avec les Living Sculptures (Sculptures vivantes), des œuvres en feuille d'aluminium. Ses recherches intensives sur les matériaux la lient étroitement au mouvement artistique de l'Arte Povera, qui émerge à la fin des années 1960 dans le nord de l'Italie. Avec son mari, Mario Merz, elle est considérée comme l'une des principales représentantes de ce mouvement d'avant-garde. En 1960, le couple vit et travaille un certain temps en Suisse, où naît leur fille Beatrice.
Dès le milieu des années 1970, les sculptures et les installations de Merz commencent à communiquer avec les espaces les entourant tout en provoquant une transformation mutuelle. A la même époque, l'artiste s'intéresse au visage humain qu'elle explore jusqu'à sa mort à Turin, le 19 juillet 2019, dans les techniques et les matériaux les plus divers.
Merz participe à de nombreuses expositions collectives, Identité italienne. L'art en Italie depuis 1959 (Centre Pompidou, Paris, 1981), et Avanguardia. Transavanguardia (Palazzo delle Esposizioni, Rome, 1982) par exemple, ainsi qu'à plusieurs reprises à la documenta de Kassel et à la Biennale de Venise. Elle y remporte le Lion d'or en 2013. Dernièrement, elle était représentée dans l'exposition Arte Povera (Bourse de Commerce Pinault Collection, Paris, 2024). Son œuvre est reconnue par des institutions internationales qui lui ont consacré des expositions individuelles, comme le Kunstmuseum Winterthur (1994), le Centre Pompidou à Paris (1994), le Stedelijk Museum à Amsterdam (1996), le Metropolitan Museum of Art à New York (2017), le Hammer Museum à Los Angeles (2017) ou le Museum der Moderne à Salzbourg (2018).
Programme d'accompagnement
Visite de l'exposition
dimanche 6 avril 2025, 11:30
Mentions légales
Marisa Merz. Ascoltare lo spazio / Écouter l’espace
Kunstmuseum Bern
31.1.–1.6.2025
Commissaire d’exposition : Livia Wermuth
L'exposition est une coopération avec le LaM − Lille Métropole, musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut, le Fridericianum et la Fondazione Merz.
Catalogue de l’exposition : Marisa Merz. Ascoltare lo spazio / Écouter l'espace, éd. par Sébastien Delot, Grégoire Prangé, Fonds Mercator, Bruxelles 2024
Conception visuelle de l'exposition : Salzmann Gertsch
Guide numérique :
Mise en œuvre : NETNODE AG
Projet: Martin Stadelmann, Cédric Zubler
Avec le soutien de
Partenaire média
Kunstmuseum Bern
Hodlerstrasse 8–12, 3011 Bern
+41 31 328 09 44
info@kunstmuseumbern.ch
kunstmuseumbern.ch/MarisaMerz